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Le Petit Homme

Une histoire presque véridique de Susanne Bachelier

 

Elle sait aussi que, si elle ne reste pas avec lui, elle sera dans une aussi mauvaise situation que certaines de ses amies. Le directeur de la douane est très riche. Il ne doit pas beaucoup travailler- il a un grand bureau, dans lequel se trouve même un ordinateur. Mais il n'est jamais allumé, et son bureau est toujours vide. Il y a seulement quelques classeurs sur des étagères. Mais ils n'ont pas l'air d'en être sortis très souvent.

Lorsque je passe devant la grande maison du directeur de la douane, je marche toujours extrêmement lentement. Pour qu'il ait le plus longtemps possible l'occasion de me voir. Car alors, en général, il sort. Il appelle déjà de loin "Eh! Petit homme, quel heureux hasard que de te rencontrer..." Et je fais comme si j'étais étonné de le voir. Comme il veut être admiré de tous, il porte toujours des habits qui permettent de reconnaître qu'il est homme d'affaires important. Il a l'air un peu stupide, avec son costume de soie rouge foncé à pois blancs.

Mais ça, on ne doit pas le lui dire. Et on ne doit pas non plus lui laisser remarquer qu'on a du mal à retenir un sourire. Sinon, il serait fâché et ne sortirait pas de sa maison la prochaine fois qu'il nous verrait. Il m'invite alors dans son salon. Le salon est très grand, plus grand que la maison dans laquelle j'ai vécu avec mes parents et mes sept frères et sœurs. Et ici, il y a des tas de canapés et de chaises car un homme si connu doit toujours être prêt à recevoir beaucoup de visite. Dans le salon, il y a aussi une grande télévision.

Bien entendu, elle est allumée, parce que quand on peut s'acheter une télévision, on doit aussi prouver qu'elle fonctionne. Elle ne fonctionne certes pas très bien -le son grésille et l'image vacille sans cesse et des bandes noires passent sur l'écran. Encore une fois, l'électricité ne marche pas correctement. Il me demande ce que je veux boire. Je ne me sens pas bien dans tout ce luxe nouveau pour moi, mais je n'en laisse rien paraître. " Un Fanta, s'il vous plaît ", dis-je.

Et là, on me le donne, glacé, car le directeur de la douane a un frigo. Je bois très lentement, j'apprécie chaque gorgée -c'est un délice en comparaison avec l'eau du puits tiède et insipide. Je bois encore plus lentement et j'essaie d'avoir un regard indifférent. Je n'y arrive pas et remarque moi-même comme, de nervosité, mes orteils se nouent presque. Et là, enfin, il dit ce que j'attendais depuis si longtemps : " Tu as besoin de nouvelles chaussures, avec celles-là tu ne peux pas faire trois pas ! " Et il me met 2000 francs guinéens dans la main. Je dis sagement merci, me laisse glisser du canapé et disparais de cette pièce immense, qui à présent m'angoisse.

Cette nuit, je ne peux pas dormir. J'ai trop de choses qui me trottent dans la tête. Par exemple, je me demande ce que je ferais si la vendeuse du marché ne voulait plus me faire travailler pour elle. Peut-être qu'elle va mourir, ou son mari lui va lui interdire de prendre comme assistant un petit gosse comme moi. Ce ne serait pas facile de changer pour une autre vendeuse. Elles ont généralement d'autres aides, car en plus des garçons qui vivent sur le marché il y a aussi plein d'enfants qui veulent aider leurs parents avec les quelques sous qu'ils gagnent sur le marché. Et souvent les vendeuses qui n'ont pas d'assistant n'en veulent pas. Elles ont eu de trop mauvaises expériences.

Et si je ne peux plus travailler sur le marché, je pourrais acheter avec l'argent que j'ai gagné des chewing-gums, des cigarettes et des petits gâteaux et les revendre un peu plus cher dans la rue aux automobilistes. D'autre enfants le font et je pense que cela pourrait me plaire de me glisser parmi les voitures et de passer ma marchandise par les fenêtres.

Parfois, je réfléchis aussi comment ça serait si je pouvais retourner à l'école. J'aimais beaucoup ça. Les mathématiques n'ont jamais été un problème pour moi et je pouvais aussi lire très vite. Quand je n'ai rien à faire, je me trouve un vieux journal dans lequel les vendeuses du marché emballent leur marchandise et j'essaie de déchiffrer les mots. Ça m'est de plus en plus difficile. Car la langue des médias c'est le français. Et je l'ai presque oublié. Ce n'est pas étonnant car sur le marché on parle plusieurs langues africaines, comme le soussou et le malinké. Et je sais toutes les parler, je parle en tout cinq langues ! Mais cela ne m'aide à rien pour lire. Ici, ce n'est possible qu'en français.


Je voudrais bien retourner à l'école, mais qui paierait mes livres ? Tous les cahiers et les crayons ? Et qui travaillerait pour moi et aiderait les vendeuses du marché pour qu'elles me donnent une part de leur repas ?

Je pourrais attraper des poissons moi-même. Je suis bon en pêche, j'ai déjà essayé. Je coupe un bâton d'un arbre et j'y attache une ficelle que je trouve dans la rue. Puis je recourbe un morceau de fil de fer pour en faire un hameçon. Je l'accroche au bout de la ficelle et j'attache la ficelle au bâton. Et puis je vais au bord de la mer et je tiens l'hameçon dans l'eau. Mes jambes disparaissent dans la vase grise du la rive, mais ça ne me fait rien. Je ne vois rien d'autre que le bâton avec la ficelle et j'attends qu'un poisson morde.

Mes amis et moi allons toujours ensemble à la pêche. Lorsque nous avons assez de petits poissons, nous faisons un feu et les faisons griller au-dessus. C'est délicieux et pour nous c'est comme un repas de fête. Je pense à ce délicieux repas et enfin je m'endors. Je me réveille alors que la mosquée appelle à la prière du matin. C'est une lamentation sonore qui essaie d'attirer les gens. Je me retourne sur l'autre côté et me rendors.


J'ai un nouvel ami. Un petit chien, qui ne me quitte plus depuis que je l'ai pris dans la rue et que je lui ai donné à manger. Il attend patiemment, ses petits yeux marron grands ouverts, jusqu'à ce que je lui donne un peu de la nourriture que j'ai durement gagnée. À cause de lui, je n'en ai plus que la moitié moi-même. Mais ça ne me fait rien car c'est beau d'avoir un ami avec lequel on peut tout partager. Le petit chien a des abcès derrière les oreilles. Il s'est déjà gratté jusqu'au sang à tel point qu'on pouvait voir la chair rouge clair de son crâne derrière ses oreilles. Mais il ne laisse pas paraître sa douleur. Cela me donne du courage. Ensemble, nous sommes forts, je le sens.

Aujourd'hui, mes copains m'ont demandé si je voulais aller au cinéma avec eux. Bien sûr, je le veux. J'ai déjà assez économisé. Car je mets de l'argent de côté pour ça depuis des semaines.
Dans le cinéma où nous allons, tiennent environ 20 enfants. Ils se bousculent vers les durs bancs de bois, les petits sont pris sur les genoux, pour que tout le monde puisse avoir une place et bien voir la petite télévision qui est placée devant dans un coin. Ca crie et les deux personnages principaux se battent de temps en temps. Et soudain des coups de feu, un bâtiment explose. Tout est en flammes mais les héros ont survécu. Ah ! Quel film! Ne pourrait-il pas devenir réalité et apporter un peu d'action dans mes jours lassants ?

Comme tous les les enfants sont enchantés et jubilent, on met une autre vidéo. Mais cette fois-ci, nous ne voyons pas tout du film. D'abord parce que l'électricité a encore sauté. Lorsqu'elle est enfin revenue, il se met à pleuvoir. Il pleut si fort que le toit de tôle au-dessus de nos têtes menace de s'effondrer. Les mots qui sortent de la télévision ne sont plus qu'un vague grondement. Le toit n'est pas étanche et déjà il pleut à l'intérieur. Cela nous est égal d'être mouillés à l'intérieur ou à l'extérieur, alors nous nous précipitons dehors et courons dans la rue pour arrêter un minibus qui passait.

Le bus est plein à craquer. À part nous, il y a 19 adultes, 5 enfants et deux poules de retour vers la ville. Je dois rester debout dans le couloir étroit. Ce qui n'est pas facile du tout, surtout quand le chauffeur, voulant garder son rythme malgré le mur de pluie, doit freiner brusquement lorsqu'il remarque trop tard, encore une fois, un des larges nids de poules.

Parfois, les grands m'invitent à faire un tour en taxi. C'est très cher et je ne peux pas me le permettre. Mais ils paient pour moi. Je dois en profiter. Les taxis sont des voitures normales. Elles viennent de France. Et elles sont transportées en bateau jusqu'ici une fois que plus personne n'en veut en France. Elles sont cabossées et ont beaucoup de rouille. Souvent, il manque des pièces entières et on peut observer la terre africaine à travers le plancher de la voiture. Et ils ne fonctionnent souvent pas, les taxis. Tout à coup, au milieu de nulle part, ils s'arrêtent et tout le monde doit descendre et attendre qu'un autre taxi avec une place libre passe à côté.

Au moins sept personnes tiennent dans ces taxis. Deux personnes se serrent sur le siège du passager avant et à l'arrière au moins quatre, selon la corpulence côte à côte ou s'un sur l'autre. Les enfants sont généralement sur les genoux. Si on est claustrophobe, il n'est pas recommandé de monter dedans.
Le chauffeur de taxi ne part que quand sa voiture est pleine à craquer. C'est clair, il veut que son trajet lui rapporte. Mais pour les passagers c'est bête. Surtout pour celui qui monte le premier. Parfois on doit attendre deux bonnes heures avant que le voyage commence.

Une fois, j'ai eu un vrai choc lors d'un de nos voyages en taxi. Pendant tout le trajet, je m'étais étonné que le chauffeur freine si brusquement, mais comme ici c'est habituel je ne me suis pas fait de souci. Et puis, au premier arrêt pour prendre de l'essence : le chauffeur descend de voiture et qu'est-ce que je vois? Il n'a qu'une jambe !!! Mon dieu, comment peut-il conduire avec une seule jambe?!! Je ne me sens pas très bien. Mais ça ne sert à rien, la route reprend et moi aussi je reste sur la banquette arrière, mettant toute ma confiance en Dieu. Sinon, je n'atteindrais pas mon but.

Oh, mon grand frère arrive. Il m'apporte sûrement des nouvelles de ma famille ! Si j'ai de la chance, j'aurai le droit de retourner à la maison avec lui. Souhaitez-moi bonne chance ! Et -merci de m'avoir écouté pendant tout ce temps. À la prochaine fois ! Et là, c'est vous qui devrez me parler de votre pays !

 
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